Réapprendre le temps

Il y a longtemps que j’ai quitté rivages de mon enfance émerveillée, aussi heureux qu’intemporels. Par mimétisme, j’ai très tôt appris un fort méchant argument, aussi dilatoire qu’imparable, que je me sers tous les jours, autant qu’aux autres : “ je n’ai pas le temps”. Oh, je sais bien qu’il ne s’agit pas là d’un temps réel. Qui d’autre que moi en effet, pourrait décider de son emploi ? Ce malin prétexte, ce fallacieux propos, cette justification universelle, m’évite d’avoir à avouer qu’en réalité, je n’ai pas envie !

Une contagieuse pénurie temporelle semble désormais devenue universelle : 99% des cadres et des dirigeants, qui m’invitent à pourtant à les aider, déplorent en toute bonne foi, n’avoir pas le temps ! Jadis aussi je fus un de ces indisponibles, submergé d’urgences, toujours pressant et empressé, pour tenter d’enfin rejoindre les trop rares moments d’une libre jouissance de mon temps. Mes agendas étaient impossibles. Pour démontrer la valeur de mon temps ? Ou le poids de mes responsabilités ? Un stress latent et une subreptice impatience contaminaient chacune de mes relations journalières, ma joie de vivre autant que mon plaisir de travailler. Mes soudaines accélérations, comme pour essayer de pour me soustraire aux temps perdus (des conf.rences imposées et des séances inutiles), m’infligeaient toujours cette douloureuse perception : celle de la coupable dé-maîtrise de mon temps. Il s’agit là un des plus frappants paradoxes de notre belle .poque, que mon associé québécois aime à souligner, répétant sagement “plus on va vite, moins on a de temps ! “

Qu’est-ce donc que le temps ?

On peut premièrement penser qu’il existe en dehors de nous et de nos perceptions variables, structurant notre univers physique depuis sa naissance comme dans toutes ses excentriques croissances. Indissociable de l’espace, que comme lui nous avons appris . mesurer, il est cependant sans aucune matière ni changement d’état observable. Il s’écoule et se répand sans que nous n’en puissions rien canaliser. Impossible encore de le thésauriser : insaisissable autant que réel, le temps apparait plus métaphysique que rationnel…. Est-ce pour cela que nous soupirons tant après son absence… qui s’appelle l’éternité ?

Pour chacun de nous cependant, le temps est d’abord une perception. Fruit d’un apprentissage et d’exp.riences r.p.t.es, nous le d.couvrons dans la dur.e. Il impose alors sa fuyante pr.sence, entre un pass. irr.m.diablement r.volu et un futur, d.j. pass. d.s que pr.sent. Mais comme chacune de nos perceptions, celle que nous avons du temps peut .tre fauss.e, biais.e ou tronqu.e... La pens.e de la Gr.ce classique identifiait jadis trois dimensions temporelles.

La premi.re d.crivait l’in.luctable accumulation lin.aire des secondes, qu’on appelle la chronologie. La mythologie grecque l’incarnait en un g.ant cruel, Kronos, le p.re des dieux, qui d.vorait ses enfants – jusqu’. ce qu’enfin son fils Zeus mette fin . cet infanticide. Ce temps chronologique, dont notre .poque se repa.t, nous pousse incessamment dans une course effr.n.e vers des horizons temporels toujours aussi lointains qu’incertains, qui se d.robent toujours et tangentent l’infini. Nos tentatives pour l’enfermer dans nos d.comptes ou nos compte-.-rebours, se r.v.lent finalement… toujours gravement anxiog.nes.

Le deuxième temps rend compte des cycles réguliers de nos vies – ce qui nous permet de minorer un peu l’effroi vertigineux du temps chronologique. Nommée Aiôn, il désigne l’immuable régularité circadienne, la course lunaire comme la valse des saisons, les cycles naturels de la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort… Ces rythmes nombreux, doux et harmonieux dès qu’on les accepte, nous rassurent un peu et tempèrent nos tentations à l’accélération permanente. De nombreuses sagesses humaines s’en inspirent, disposant “qu’il existe un temps pour chaque chose”. Mon impatiente adolescence fut ainsi modérée par ma grand-mère, répétant doucement que “ce qui se faisait sans le temps n’y résistait pas”. Le souvenir m’en est resté, inspirant mon management.

La dernière perception du temps est celle qui nous manque le plus : nommée Kaïros, elle décrit ce temps qui peut “suspendre son vol”, un court instant. Un temps métaphysique, caractérisé par sa provisoire absence. Ce qu’alors nous vivons est intemporel, nous transforme pourtant et s’ancre profondément. Il existe un avant et un après – sans qu’on puisse pourtant décrire ce fugace hors-du-temps, comme un évènement ou un accident. Transcendance non mystique, ce moment souvent récréatif autant que créatif s’installe comme l’une éternité d’un court instant, abolissant la pesanteur de nos habituelles contingences.

N’est-ce pas là désormais une principale urgence, dans nos entreprises et nos organisations ? Réapprendre à vivre et maîtriser le temps qui nous est donné ? Plutôt qu’affirmer nos manques d’envie… Augustin d’Hippone (354 – 430) nous y invite : “ Ces temps sont mauvais ? Alors soyons bons et notre temps sera bon. Car nous sommes le temps.” A la racine même de toute authentique bienveillance, le grand poète Al-Mutanabbī (915 – 965) donne une clé essentielle : " le temps n’est jamais perdu, s’il est donné aux autres.”

N'est-ce pas important, quand on dirige ou manage ?

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