Plaidoyer en faveur de la confiance au travail

OPINION. Derrière les beaux discours prônant une remise de l’humain au centre des relations de travail se cache une autre réalité qu’il faut urgemment faire évoluer

Il n’y a guère de jour sans que j’entende, juste après l’énergique affirmation de vouloir «remettre l’humain au centre», un autre stéréotype immédiatement associé: «manager à la confiance». L’interpellation est indiscutablement louable; cette surabondance d’intentions cependant ne cache-t-elle pas précisément un manque flagrant ou une carence pathologique?

Les relations de travail sont, depuis des décennies, régies par un engagement contractuel réciproque, instituant la subordination rémunérée de l’employé, d’apparence nécessaire, pour que l’employeur puisse organiser ensemble les tâches de ses équipes. La contrepartie de cette subordination ne serait-elle pas l’engagement de donner à ce collaborateur tous les moyens d’exercer et de réussir sa mission, ainsi qu’un environnement propice, notamment respectueux de sa bonne santé?

Par une pernicieuse corruption, cette légitime subordination s’est transmutée en une rigide soumission imposée et la financiarisation fanatisée de l’économie pousse incessamment chaque salarié à devoir «faire toujours plus avec toujours moins». Toujours plus d’objectifs et de chiffres avec toujours moins de temps, de ressources, de budget ou de liberté…

Serait-ce à cause de cette méprise – due à l’employeur et toute chargée de soupçons ou de croyances obsolètes, qui s’exprime par l’incessant envahissement de rapports, d’objectifs et d’injonctions péremptoires – que l’employé va perdre confiance, en son manager comme en lui-même? Pourquoi donc, par exemple, contraindre à des horaires alors que seul le résultat importe, si ce n’est par méfiance? Et pourquoi tout contrôler, imposer et sans cesse obliger, lorsque seule la création de vraie valeur ajoutée compte, si ce n’est par défiance?

Se résigner, puis partir

Connaissez-vous le syndrome d’Alcatraz? Il a été observé qu’à mesure qu’augmentent les contraintes, qu’autant que se «resserre le cadre», deux comportements s’imposent, proportionnels à la pression subie. Le premier est la résignation, forme discrète de démotivation, par l’abdication de toute volonté ou initiative individuelle. Et donc de toute audace. Jusqu’à ce qu’apparaisse le second, caractérisé par la révolte et «l’évasion». Et l’audace. Dans nos entreprises, cette première démission – passive et souvent cause d’actifs sabotages –, puis cette deuxième – très active et source de conflits et de départs – sont à la racine d’exponentiels et ruineux coûts cachés.

Ne serait-ce pas encore cette même défiance systématisée qui, par réaction, créa en 2020 la «grande démission», alors que 40% des salariés américains se désistèrent? On l’observe en Europe: à la croissante mauvaise rotation de personnel (le départ de ceux qu’on voudrait retenir) s’ajoute la pénurie et l’exponentielle volatilité de «bons» employés. Dans ce contexte, que sont donc cette confiance et cette humanité qu’au travail on semble enfin redécouvrir et qu’on prétend vouloir promouvoir?

Si la bonne santé professionnelle (physique, sociale et physique, ainsi que l’OMS la définit) constituera désormais la clé de l’attraction et de la rétention des meilleurs, nous ne pourrons pas faire l’impasse sur un nécessaire rétablissement de la vraie confiance – loin des simplistes décrets d’intention.

L’étymologie en atteste: les mots latins fides (foi) et foedus (pacte, accord, alliance), d’une même racine, associés au préfixe cum (avec, ensemble) décrivent un engagement réciproque liant deux personnes, qui fondent entre elles une alliance libre et équilibrée. A noter que la «confiance en soi» constitue alors un étrange abus de langage, en forme de non-sens – on parlerait plus justement d’«assurance en soi»…

Un nécessaire nouveau départ

Contrairement à une «citation» apocryphe, la confiance authentique, du fait de son essence même, exclut le contrôle! Mettez-vous un mouchard dans le portable de votre conjoint, si vous lui faites confiance? Faites-vous un contrat et un cahier des charges de 250 pages avec votre dentiste avant chaque intervention, si vous lui faites confiance?

La vraie confiance fonde encore l’authentique délégation, éliminant la pression des fausses urgences, les excès de la suradministration ou le juridisme outré des relations contractuellement hiérarchisées.

Cette «foi» réciproque, l’un avec l’autre donc, qui prend du temps pour devenir solide, constitue concrètement une des plus humaines relations! Elle s’associe à l’amour, pour que se fonde un couple. Elle caractérise l’amitié, sans laquelle celle-ci ne peut exister. Elle constitue la clé de tout partenariat ou de toute collaboration fructueuse. Elle cimente encore chacune de mes interactions sociales, depuis ma participation à la chorale jusqu’au boulanger chez qui j’achète ma tresse dominicale, en passant par mes chers voisins…

Rien donc de plus humanisant que la confiance, et nous ne pourrons jamais «remettre l’humain au centre» sans elle! Ni, en vérité, sans abandonner nos vieilles croyances, définitivement éculées.

https://www.letemps.ch/opinions/plaidoyer-faveur-confiance-travail

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