Xavier Camby sur l’affaire Credit Suisse:«Il faut sortir de la confusion des genres»

Le problème fondamental du conseil d’administration des sociétés suisses est lié à une loi très ancienne qui crée une surexposition de ce dernier et un risque d’ingérence dans la direction que l’on ne retrouve pas dans les pays anglo-saxons, affirme le conseiller Xavier Camby.

La gouvernance des entreprises suisses cotées prête à discussion. Le changement de présidence au sein du conseil d’administration de Credit Suisse notamment traduit des dysfonctionnements fondamentaux, affirme au Temps Xavier Camby, 57 ans, directeur et associé fondateur d’Essentiel Management Conseil.

A la tête de son entreprise, créée en 2013, ce Breton d’origine propose un nouveau management «bienveillant et promoteur de la personne humaine». «Je n’accepte pas la détresse psychologique au travail», déclare cet ancien patron du groupe Michael Page. Sa carrière inclut aussi bien cinq années au sein de l’Autorité des marchés financiers, à Paris, que du conseil en ressources humaines, en Suisse, en Afrique du Sud et en France, et de l’entrepreneuriat, à la tête notamment de Michael Page International.

Notre interlocuteur collabore avec plusieurs grands groupes et y apporte ce qu’il appelle «une anthropologie réaliste et humaine de la performance». Trop souvent, juge-t-il, les entreprises atteignent des objectifs financiers dont le coût humain, reporté sur la société civile, est sousestimé et totalement inacceptable. A la lumière du changement de président du groupe Credit Suisse, Xavier Camby se penche sur le rôle des conseils d’administration en Suisse et imagine des pistes de réforme.

Le Temps: Que vous inspire le départ du président de Credit Suisse?

Xavier Camby: Le piège résiderait dans une analyse à court terme. L’histoire de Credit Suisse est inséparable de celle du pays. La banque a beaucoup contribué à façonner la culture économique suisse. En termes financiers, nous dirions qu’elle a créé une intense valeur ajoutée au sein et au bénéfice de son écosystème, lequel en a largement profité. La valeur ajoutée créée y est restée, construisant et structurant la cité commune. Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain: la prospérité de la Suisse lui doit beaucoup. Saine et solide, non financée par la dette, illustrant ainsi très largement l’exceptionnel esprit de milice, si vigoureusement actif dans ce pays.

La gouvernance d’une entreprise, la présidence du conseil d’administration d’un grand groupe ne deviennent-elles pas problématiques si elles sont seulement fondées sur cet esprit de milice ?

Le problème fondamental est à l’origine législatif. En 2022, le fonctionnement d’un conseil d’administration demeure régi par une loi datant de 1911, partiellement révisée en 1983 et 1992, en pleine financiarisation de l’économie donc. Cette loi (CO 716a) ignore superbement les pratiques internationales de gouvernance et engendre une surexposition, un surengagement, du conseil d’administration, que l’on ne retrouve pas dans des pays tels que, par exemple, les pays anglo-saxons, où la responsabilité opérationnelle est principalement assumée par le président de la direction générale.

Quelle serait la structure idéale?

Un conseil d’administration a besoin d’être composé de personnalités compétentes, fortes et indépendantes, pour être capables d’élaborer une vision authentique et de décider d’une stratégie pérenne, qu’ensuite la direction se devra de mettre en oeuvre. Sortir de la confusion des genres qui voit des administrateurs prendre beaucoup trop de responsabilités opérationnelles et favorise les ingérences – parfois calamiteuses – est désormais indispensable.

Cette séparation des rôles demeure primordiale. Actuellement, plutôt que d’incarner cette vision, et de garantir l’éthique au sein de la communauté que forme toute entreprise (clients, fournisseurs, salariés, collectivités…), on voit des conseils d’administration s’occuper en priorité de chiffres, d’audit des ressources humaines, de finances, de controlling… balançant entre la compliance étroite, le contrôle budgétaire et la révision comptable. Ce phénomène, je le redoute, provient sans doute d’une corruption de l’esprit de milice, devenu trop intrusif et du gauchissement d’une économie financiarisée, asservie aux marchés financiers et dramatiquement oublieuse du service de ses clients.

Que pensez-vous des administrateurs de groupes industriels dans des conseils d’administration de banques?

Il me semble indispensable que des administrateurs soient authentiquement indépendants, mais aussi porteurs de compétences variées et différentes. Une expertise de production industrielle n’est cependant pas déterminante pour l’élaboration d’une vision et d’une stratégie au sein d’une banque. L’environnement stratégique de Roche, que dirige Severin Schwan, aussi vice-président du conseil d’administration de Credit Suisse, est à mille lieues de celle d’un groupe bancaire. On peut alors s’interroger…

Ce mélange des genres (sans doute le fruit de relations personnelles ou peut-être historiques) rappelle ces étranges participations croisées qui existent toujours: certaines entreprises plus ou moins sous-capitalisées utilisent en effet cette pratique pour empêcher toute tentative de rachat agressif. Mais surtout pour concentrer à l’extrême et toujours davantage leurs pouvoirs, sans plus guère désormais de contre-pouvoirs efficaces.

La gouvernance d’un conseil d’administration affaiblie, amorale, stipendiée ou compromise… empêchera toujours le sain fonctionnement de la démocratie actionnariale. Et un fonctionnement en circuit fermé, violent frein au développement économique, à l’innovation réelle et favorisant seulement la spéculation sur les places financières, en est la conséquence immédiate. Les assemblées d’actionnaires, muselées trop souvent, ne peuvent alors plus guère influer, changer le cours des choses ni tenter de proposer des réformes. Il faudra parfois des années pour qu’un siège au sein d’un conseil d’administration redevienne effectivement électif; j’ai ainsi rencontré un administrateur qui cumulait trente-deux années de mandat au sein du même conseil!

Quel est l’avenir de la gouvernance d’entreprise? Un conseil d’administration doit-il maximiser la performance de l’actionnaire avant tout?

Un vrai conseil d’administration s’emploie utilement et génère une authentique valeur ajoutée lorsqu’il élabore une vision, structure la stratégie qui en découle et incarne symboliquement la culture et l’éthique de l’organisation qu’il gouverne. Se contenter d’être la caisse enregistreuse des décisions édictées par des actionnaires majoritaires ou les analystes ne légitimera jamais aucun jeton de présence…

Favoriser l’une ou l’autre des parties prenantes au sein d’une organisation est contraire au mandat moral et économique d’un conseil d’administration. On assiste d’ailleurs à un subtil mais drastique renversement des perceptions: si, dans les faits, aujourd’hui encore, certains conseils d’administration d’entreprises cotées s’efforcent essentiellement de satisfaire les analystes financiers et les traders, emportant avec eux toute leur hiérarchie, ce sont précisément ces mêmes organisations qui peinent gravement à recruter et à retenir les talents. Un monde économique nouveau est en train de (re)naître, doucement mais inéluctablement, dans le monde entier, où tous, au sein d’une organisation, y compris les organes de gouvernance, veillent principalement à la satisfaction première du client final.

https://www.letemps.ch/economie/xavier-camby-laffaire-credit-suisse-faut-sortir-confusion-genres

 
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